A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous donnons la parole au docteur Cécile Renson, Transmetteur bénévole qui a vu le monde de la médecine évoluer – en particulier pour les femmes – et qui s’est engagée tout au long de sa carrière au coeur de ces changements.
Le docteur Cécile Renson, diplômée en 1969 de la Faculté de Médecine de Tours, a longtemps exercé comme médecin anesthésiste-réanimateur auprès des patients de quelques grands noms de la chirurgie (les professeurs Camey, Morax, Botto, Tubiana, Banzet, Glicenstein…). Plus tard, elle se tourne vers la médecine du travail qui l’instruit sur le monde des travailleurs et qu’elle pratiquera jusqu’à la retraite en parallèle de ses autres activités. Elle a notamment présidé l’Association Française des Femmes Médecins et s’est investie dans la vie politique locale. Selon elle, « médecine et politique illustrent le combat des femmes depuis bien longtemps ».
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Cécile Renson - En 1962, quand je faisais mes études de médecine à Tours, nous n’étions que 10% de filles. Je me destinais à l’anesthésie et m’apprêtais à concourir pour un poste hospitalier. J’ai ensuite rencontré l’homme de ma vie et j’ai tout laissé pour venir le rejoindre à Paris. C’est finalement là que j’ai commencé à exercer en tant que médecin anesthésiste-réanimateur. Nous avons eu des enfants mais mon destin a été contrarié car mon mari est décédé relativement jeune.
Comme c’était l’homme de ma vie, j’ai voulu offrir à mes enfants un monde meilleur et me suis investie dans la vie politique locale. Toujours en exerçant comme anesthésiste libéral, je suis devenue adjointe au maire du 15e arrondissement de Paris en 1995, puis Conseiller de la ville de Paris. J’avais alors une « marraine » qui était le professeur Solange Troisier, médecin des prisons au parcours exceptionnel et auquel je dois mon engagement politique et associatif. J’ai adhéré à l’association Femme Avenir - Centre de Formation d’Etudes et d’Information, créée à l'instigation du Général de Gaulle en 1965 et dont j’ai été présidente de 2001 à 2007. J’ai ensuite été présidente de l’Association Française des Femmes Médecins de 2008 à 2016.
Quel est le rôle de l’Association Française des Femmes Médecins ?
Cécile Renson - Partout dans le monde, les femmes médecins ont rencontré des difficultés pour se faire reconnaître. Elles ont alors tenté de se regrouper afin de débattre entre elles des problèmes scientifiques et de santé publique.
Cela a commencé par les américaines qui ont créé une première association en 1922. Les françaises, à l’initiative du docteur Thuillier-Landry, ont pour leur part créé l’Association Française des Femmes Médecins en 1923. Elles se sont ensuite associées aux américaines et à d’autres nationalités au sein de la MWIA, dont le secrétariat a un temps été établi en France.
Je m’intéressais beaucoup aux femmes médecins et à leur rôle. La première femme française reconnue médecin est Madeleine Brès à la fin du XIXe siècle. Cette dernière raconte qu’on lui dit un jour « Tu feras une bonne infirmière. C’est dommage que tu sois une fille, car autrement tu aurais été médecin ». Il fallut que son mari donne son assentiment au maire du 5e arrondissement de Paris pour qu’elle puisse entreprendre ses études de médecine. Son exemple a ensuite été suivi par d’autres, les femmes ont finalement intégré la faculté de médecine et ont été reconnues médecins bien avant d'avoir obtenu le droit de vote, en 1944.
Comment s’est traduite l’arrivée des femmes dans le milieu médical ?
Cécile Renson - Le milieu n’a vraiment commencé à se féminiser que depuis une quarantaine d’années. Quand j’ai commencé la médecine en 1962, on comptait 10% de femmes médecins. Puis elles ont représenté 36% de la profession en 2003 et 50% en 2020. Chez les médecins de moins de 40ans, elles dépassent même les 50%.
Les femmes médecins tentent de conjuguer trois vocations : elles sont épouses, elles sont mères et elles sont médecins.
En tant qu'épouses, leur carrière est souvent dictée par des contraintes externes telles que la carrière du conjoint. Bien souvent, elles ne souhaitent pas s’installer en cabinet avant d’avoir acquis une certaine stabilité quant à leur lieu de vie et gardent longtemps un statut de médecin remplaçant.
La femme médecin et mère de famille refuse de s’installer dans un secteur sans école, sans services… La lutte contre la désertification médicale devrait ainsi commencer par une politique de réaménagement du territoire. Dans les petites villes où il n’y a que peu d’habitants, le médecin était seul 24h/24, faisait des visites à domicile… C’est le quotidien d’un médecin de campagne traditionnel. Or, une femme médecin ne va pas être disponible 24h/24 puisqu’elle doit s’occuper de sa famille et de ses enfants.
Comment les femmes ont-elles fait leur place dans la profession?
Cécile Renson - Quand elles exercent la médecine libérale, 90% des femmes privilégient l’exercice en groupe. Ce qui leur permet de mutualiser les problèmes médicaux et administratifs et de disposer d'une plus grande flexibilité dans leur emploi du temps.
Elles veulent mener une vie harmonieuse, avec un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle.
Longtemps, certaines contraintes ont été déterminantes pour les choix de carrière. Les femmes choisissaient les spécialités dites plus féminines : gynécologie, pédiatrie, délaissant les plus pénibles telles que la chirurgie orthopédique ou cardiaque au profit de l’ophtalmologie et la dermatologie. Aujourd’hui, la situation se normalise et elles sont présentes dans toutes les spécialités.
Quelles sont les principaux obstacles rencontrés ?
Cécile Renson - A vrai dire, je dirais que le principal problème de la femme médecin c’est la maternité. Jusqu’en 1982, la médecine était un métier d’homme car les femmes médecins ne bénéficiaient d’aucune couverture maternité. Quand mes enfants sont nés je n’ai pas reçu d’indemnités. Il a fallu attendre 2006 pour obtenir l’alignement du congé maternité sur celui des professions salariées. Et les indemnités journalières ne couvrent actuellement pas encore tous les frais de cabinet.
Il faut savoir que dès le premier enfant, 60% des femmes diminuent leur activité de 12%, et qu’à chaque nouvelle naissance ce chiffre augmente. La situation est un peu plus facile pour les femmes qui exercent à l’hôpital car elles ont la possibilité de prendre un congé et ne sont plus contraintes d’effectuer des gardes quand elles sont enceintes.
C’est également un milieu où le machisme était présent. C'est ainsi qu'un chirurgien de l'Académie de médecine disait en 1988 qu’il s’inquiétait de l’influence de la lune sur "la finesse de l’intuition psychologique de ces dames qui conduit au diagnostic". Il se consolait en concluant « qu’après les avoir tenues dans nos bras, nous serons confiés à leurs mains ».
Quand j’étais anesthésiste, le milieu était relativement féminin car il y avait la subordination au chirurgien. Encore aujourd'hui un patient retient le nom de son chirurgien mais pas celui de l’anesthésiste. Cela dit les anesthésistes-réanimateurs sont maintenant plus souvent des hommes, comme l’ensemble des urgentistes. Est-ce dû à une spécialité aux horaires toujours plus fluctuants ?
Quelles sont les principales inégalités de genre observées ?
Cécile Renson - Les premières femmes chefs de service ou qui ont obtenu un poste prestigieux exerçaient en laboratoire, c’est-à-dire là où il n’y avait pas de contact avec les malades.
Tandis que les femmes sont de plus en plus présentes au niveau de la distribution des soins, elles sont peu représentées au sein des instances de pouvoir ou dans les prestigieuses sociétés savantes. Elles ont peu accès aux postes les plus prestigieux. Ainsi l'ancienne Directrice générale de l’AP-HP Rose-Marie Van Lerberghe, quand on lui demandait quel est le féminin de PU-PH (*professeur universitaire praticien hospitalier) répondait : PH.
En 2005, il y avait en France 9% de femmes PUPH et à l'AP-HP, l’endroit où elles étaient le plus nombreuses, elles étaient 14%. C’est également valable à l’Académie de médecine où il y a très peu de femmes, ainsi qu’à l’académie de chirurgie ou au Conseil National de l’Ordre des Médecins (5 femmes sur 54 membres en 2020).
Comment les femmes ont-elles fait évoluer la pratique de la médecine ?
Cécile Renson - Il y a quelques temps, les femmes médecins, à temps de travail égal, voyaient moins de patients que les hommes car elles prenaient plus de temps lors des consultations, prenant en compte l’environnement du patient, et se souciant de prévention – parent pauvre de la médecine en France.
Petit à petit, même s'ils s'en défendent, les hommes se sont alignés sur le mode d’exercice des femmes et leur rythme de consultation, ce qui a fortement modifié l’exercice en médecine libérale. L’évolution des femmes médecins reflète l’évolution de la société.
Quelles sont les tendances actuelles ?
Cécile Renson - Autrefois, les étudiants les plus brillants faisaient des études de médecine. Aujourd’hui les étudiants les plus brillants s'orientent plutôt vers les écoles de commerce.
La médecine a été un peu dévalorisée. Est-ce pour ça qu’il y a un peu moins d’hommes médecins? Que les femmes s’y trouvent mieux ?
Faut-il croire Béatrice Majnoni d’Intignano qui pense que « lorsqu’une profession se féminise, elle se paupérise » ? je préfère me ranger du côté d’Irène Khan-Bensaude qui dit que « la féminisation en médecine est une chance à saisir ».
La présence des femmes médecins a déjà induit bon nombre de changements dans la société (IVG, contraception).
Avec leurs collègues masculins, les femmes médecins ont à cœur d’exercer le plus beau métier du monde, celui de « guérir parfois, soulager souvent , écouter toujours » comme le disait Louis Pasteur, car pour tous, seul compte le malade.
Retrouvez l'Association Française des Femmes Médecins sur le site internet : https://affm-asso.fr/
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